Caroline Zéau, "L'Humanité Dimanche" n°404 / Pierre Crezé, Médiapart / Universciné / Fred Film Radio / Journal du Réel 2014 / Charlotte Garson, Cinéma du Réel 2014 / Julien Marsa, Critikat / Raphaël Nieuwjaer, Chronicart
RÉFLEXIONS LE TRAVAIL DANS TOUS SES ÉTATS AU
CINÉMA DU RÉEL (...) Cette valeur travail, aujourd'hui bafouée, est ce qui rassemble ceux qui vivent et travaillent au sein des communautés Emmaüs et dont Matthieu Chatellier fait le portrait dans son film "Sauf ici, peut-être". Pour eux, les objets et le travail qu'ils suscitent sont des biens précieux.La beauté de ce film tient à la chorégraphie que le cinéaste effectue, caméra à la main, pour garder sans violence le corps de ces hommes en marge dans le cadre (comme le fait Emmaüs) et recueillir une parole fragile aux silences évocateurs. Un travail commun et une pertinence fondés sur un rapport d'égalité entre filmeur et filmés et qui doivent peut-être quelque chose à la précarité dont les documentaristes eux-mêmes souffrent aujourd'hui. Extrait de " LE TRAVAIL DANS TOUS SES ÉTATS AU CINÉMA DU RÉEL" de Caroline Zéau "L'Humanité Dimanche" n°404 |
Principes de documentaire : Matthieu Chatellier Chaque jour durant le festival Cinéma du Réel, UniversCiné va à la rencontre d'un documentariste contemporain pour lui demander ses principes de réalisation. Matthieu Chatellier ouvre la semaine en évoquant les longs silences des protagonistes de son très beau film, Sauf ici, peut-être, présenté au Centre Pompidou les 27, 28 et 29 mars. Dans une communauté Emmaüs de Normandie, des hommes arrivés là après de longs et douloureux voyages reviennent sur leurs parcours. Pudeur, histoires à trous, visages marqués. Matthieu Chatellier poursuit avec une élégance qui lui est propre son travail d'archiviste de vies malmenées. Il fouille dans les tiroirs et trouve sur les objets abîmés les traces de vies antérieures. Versé dans l'art du portrait, Matthieu Chatellier rend film après film leur dignité à ceux qu'il met en images. Extrait de " PRINCIPES DE DOCUMENTAIRE" de Pierre Crezé / MEDIAPART
|
FRED FILM RADIO Dans le cadre de la compétition française de la 36ème édition du festival Cinéma du réel, Matthieu Chatellier présente Sauf, ici peut-être, une galerie de portraits pudique et tendre d'Ulysses modernes. Filant la métaphore du voyage, de cette Odyssée -quête du chez soi-, et du naufrage, Matthieu Chatellier nous initie à un voyage dans une communauté Emmaüs située près de Caen. Mélange subtil entre séquences fixes silencieuses et mise en mouvement, le "documentaire" sublime l'objet avec une certaine esthétique de l'accumulation. Les objets sont chargés de souvenirs et, pareil à des morceaux d'un énorme navire qui serait la vie, échouent dans un entrepôt pour être trier et renaître entre les mains de ces naufragés au regard profond. Découvrez l’interview de Matthieu Chatellier qui présente Sauf, ici peut-être sur FRED FILM RADIO. par Morgane Stampfer pour "Fred Film Radio" |
JOURNAL DU RÉEL Avec son habituelle délicatesse, le réalisateur part seul à la rencontre des compagnons d'une communauté Emmaüs. Comment avez-vous connu cet endroit ? Vous n'avez filmé aucune
scène de groupe ? Le film commence en hiver et va vers
les beaux jours. Pouvez-vous nous raconter
l'écriture de la voix-off ? Quand la voix-off revient au milieu
du film, vous citez L'Odyssée, puis on glisse vers
autre chose. Vous racontez les péripéties de
certains compagnons, et en leur prêtant votre voix vous
devenez eux en quelque sorte, il y a comme une
inversion… Vous arrivez à cette position,
côte à côte, après plusieurs
face-à-face, en particulier dans ces portraits
silencieux et immobiles… Propos recueillis par Amanda Robles, JOURNAL
DU RÉEL le 28 mars 2014 . |
CINÉMA DU RÉEL Au sein d'une communauté Emmaüs, les portraits singuliers, inoubliables, d'Ulysse contemporains. Tout commence par des objets. Matthieu Chatellier, qui dialogue de derrière la caméra avec les membres d'une communauté Emmaüs de la région caennaise, reconnaît des assiettes, des meubles qui ont bercé son enfance. Mais il n'a guère le temps de sombrer dans la nostalgie : tous les hommes qu'il filme sont actifs, suractifs même, triant et vérifiant des vêtements selon des critères stricts, étiquetant chaque meuble d'un entrepôt plein à ras bord, sans cesse énergisés par leur capacité à transformer de l'informe en objet, le rebut en or. À l'évidente satisfaction de voir un tel système amender des vies fracturées succède une émotion singulière qui s'exhale de chaque portrait. La modicité des chambres et le goût de l'accumulation de plusieurs de ces naufragés de la vie (métaphore éculée qui revient ici décapée) transforment leurs intérieurs en empires des signes d'une folle densité. Le moindre bibelot y recèle une origine lointaine, un « mauvais souvenir » tu, un secret inviolable. Avec la même concentration que l'un des hommes qui photographie une minuscule petite fleur rose, le cinéaste et sa monteuse restituent le présent de ces vies dépolies par le voyage perpétuel. À la référence biblique du compagnonnage d'Emmaüs, le film substitue via son écoute, ses cadrages et sa lumière, une symbolique ulysséenne. Charlotte Garson pour "Cinéma du Réel 2014" |
CRITIKAT / Cinéma du Réel, 36e édition Dans une communauté Emmaüs à proximité de Caen, Matthieu Chatellier a trouvé matière à poursuivre son travail de cinéaste à l’écoute. Un repaire de naufragés de la vie, qui investissent ce havre hors du temps comme des enfants qui créeraient leur propre maison de poupée. Sauf ici, peut-être ne s’attache pas tant au fonctionnement de la vie en communauté, mais plutôt à en faire surgir, par la parole, les tracas du monde au-dehors, celui dont ses hommes, tels des moines, ont préféré se retirer. C’est une sorte de « périphérie » du réel que Matthieu Chatellier dresse alors, à travers les portraits croisés de ces travailleurs, dont les visages marqués et les silences représentent autant de cartes que le cinéaste se propose de sillonner. Le travail d’approche de Chatellier se veut discret, sans chercher à tout prix la connivence. La gêne qui se dégage parfois de ces portraits tient à la fois de la maladresse naturelle des personnages face à une caméra qui sert d’interface entre eux et le monde, et du spectateur, se retrouvant nez à nez avec toute une clique mise au ban de la société. Des regards perdus, usés, de ceux qu’il est difficile d’affronter, et pourtant empreints d’une joie toute enfantine lorsqu’ils s’éveillent. Le propos n’est pas ici ouvertement politique, mais le film délimite cependant tout un territoire partiellement abandonné, jonché d’objets dont on se débarrasse, et que ces hommes trient patiemment avant de les exposer, pour leur donner une chance d’être renvoyés dans le monde.
Cet interstice entre vie monacale et contacts avec l’extérieur (qui resteront hors-champ) est donc investi de témoignages qui cherchent à briser la glace sans bousculer la fragile marche en avant des personnages. La délicatesse et l’attention développées par Matthieu Chatellier tiennent du numéro de funambule, et agissent à doses homéopathiques, en une alchimie qui est à chaque fois remise en jeu. Il suffit ici de quelques mots, là d’un objet, d’une cigarette de plus, d’un lieu commun ou d’un travailleur en action pour enclencher le dialogue, partir sur les routes du passé et effleurer ce qu’a pu être une vie passée à chercher sa destination, avant d’atterrir ici et enfin poser bagage. Le film met alors en scène les détours simples que peut prendre la parole pour toucher à l’intime, et saisit l’essence de ce qu’un visage, lorsqu’il s’arrête brusquement d’être animé par des mots, transmet de l’existence d’un homme. Et sans faire de bruit, Sauf ici, peut-être devient un espace d’échanges et d’observation, qui remet progressivement ce micro univers au centre d’un monde qui ne semble plus qu’un lointain souvenir. C’est pourtant bien lui qui gravite autour de la communauté. Julien Marsa pour "Critikat" |
CHRONICART / Cinéma du Réel 2014: fin du cinéma et poignées de porte La trente-sixième édition du festival du Réel a eu lieu du 20 au 30 mars dernier, à Paris. Au programme : des hommes au travail, un laboratoire politique, la fin du cinéma et des poignées de porte. Parcours, très partiel au regard de la programmation pléthorique, à travers quelques films vus au hasard ou presque. (…) S'ils partagent un même territoire, Sauf ici, peut-être (Matthieu Chatellier) et Trois cents hommes (Emmanuel Gras et Aline Dalbis) différent par leur méthode. Celle, modeste, de Chatellier, repose sur une proximité avec les membres de la communauté Emmaüs qu'il filme. Le filmeur interroge, se fait interpeller, dirige éventuellement en direct en indiquant l'endroit où il s'apprête à orienter son objectif. Peu de fioritures, mais une bienveillance qui rachète certains accès de naïveté ou de candeur. Davantage qu'à la communauté en tant que telle (pas de scène réellement collective), il s'attache à ses membres, à leurs paroles, leurs visages, traçant une suite de diagonales solitaires. Emmaüs apparaît comme le dernier refuge, là où il sera enfin possible de se poser entouré de quelques objets ordinaires sauvés d'odyssées dont nous ne connaîtrons jamais que quelques bribes. Au final, Chatellier réussit surtout (...) dans le portrait en cinéma, qui exige de laisser le temps nécessaire à un visage pour apparaître et à un regard pour soutenir celui de la caméra, quitte à s'échapper ensuite. (…) http://www.chronicart.com/cinema/cinema-du-reel-2014-fin-du-cinema-et-poignees-de-porte/ Raphaël Nieuwjaer, Chronicart |