Caroline Zéau, "L'Humanité Dimanche" n°404 / Pierre Crezé, Médiapart / Universciné / Fred Film Radio / Journal du Réel 2014 / Charlotte Garson, Cinéma du Réel 2014 / Julien Marsa, Critikat / Raphaël Nieuwjaer, Chronicart

RÉFLEXIONS

LE TRAVAIL DANS TOUS SES ÉTATS AU CINÉMA DU RÉEL
Le 20 mars s'ouvre pour 10 jours au Centre Pompidou, à Paris, le festival internationnal de films documentaires créé en 1978. Ce rendez-vous est l'occasion pour Caroline Zéau, spécialiste du cinéma documentaire, d'analyser comment la question du travail a conquis le grand écran depuis quelques années.

(...) Cette valeur travail, aujourd'hui bafouée, est ce qui rassemble ceux qui vivent et travaillent au sein des communautés Emmaüs et dont Matthieu Chatellier fait le portrait dans son film "Sauf ici, peut-être". Pour eux, les objets et le travail qu'ils suscitent sont des biens précieux.La beauté de ce film tient à la chorégraphie que le cinéaste effectue, caméra à la main, pour garder sans violence le corps de ces hommes en marge dans le cadre (comme le fait Emmaüs) et recueillir une parole fragile aux silences évocateurs. Un travail commun et une pertinence fondés sur un rapport d'égalité entre filmeur et filmés et qui doivent peut-être quelque chose à la précarité dont les documentaristes eux-mêmes souffrent aujourd'hui.

Extrait de " LE TRAVAIL DANS TOUS SES ÉTATS AU CINÉMA DU RÉEL" de Caroline Zéau "L'Humanité Dimanche" n°404

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Principes de documentaire : Matthieu Chatellier

Chaque jour durant le festival Cinéma du Réel, UniversCiné va à la rencontre d'un documentariste contemporain pour lui demander ses principes de réalisation. Matthieu Chatellier ouvre la semaine en évoquant les longs silences des protagonistes de son très beau film, Sauf ici, peut-être, présenté au Centre Pompidou les 27, 28 et 29 mars. Dans une communauté Emmaüs de Normandie, des hommes arrivés là après de longs et douloureux voyages reviennent sur leurs parcours. Pudeur, histoires à trous, visages marqués. Matthieu Chatellier poursuit avec une élégance qui lui est propre son travail d'archiviste de vies malmenées. Il fouille dans les tiroirs et trouve sur les objets abîmés les traces de vies antérieures. Versé dans l'art du portrait, Matthieu Chatellier rend film après film leur dignité à ceux qu'il met en images.

Extrait de " PRINCIPES DE DOCUMENTAIRE" de Pierre Crezé / MEDIAPART


Principes de documentaristes : Matthieu Chatellier par Universcine

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FRED FILM RADIO

Dans le cadre de la compétition française de la 36ème édition du festival Cinéma du réel, Matthieu Chatellier présente Sauf, ici peut-être, une galerie de portraits pudique et tendre d'Ulysses modernes. Filant la métaphore du voyage, de cette Odyssée -quête du chez soi-, et du naufrage, Matthieu Chatellier nous initie à un voyage dans une communauté Emmaüs située près de Caen. Mélange subtil entre séquences fixes silencieuses et mise en mouvement, le "documentaire" sublime l'objet avec une certaine esthétique de l'accumulation. Les objets sont chargés de souvenirs et, pareil à des morceaux d'un énorme navire qui serait la vie, échouent dans un entrepôt pour être trier et renaître entre les mains de ces naufragés au regard profond.

Découvrez l’interview de Matthieu Chatellier qui présente Sauf, ici peut-être sur FRED FILM RADIO. 

par Morgane Stampfer pour "Fred Film Radio"

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JOURNAL DU RÉEL

Avec son habituelle délicatesse, le réalisateur part seul à la rencontre des compagnons d'une communauté Emmaüs.

Comment avez-vous connu cet endroit ?
Les responsables souhaitaient créer un événement pour les 40 ans de la communauté. J'étais alors entre deux projets dont la production tardait et j'étais frustré de ne pouvoir être en tournage. J'ai commencé à tourner assez vite, seul, car je n'avais pas de moyens financiers pour être accompagné d'un preneur de son. Mais cette solitude ne me gênait pas : ça m'intéressait de raconter la rencontre entre une personne qui a une caméra, et une autre qui accepte d'être regardée, filmée, avec tendresse. Montrer la mise en relation avec quelqu'un, ce moment où on a envie d'aller l'un vers l'autre mais où on ne sait pas trop quoi se dire, ce temps de légère gêne…
Ils m'intimidaient beaucoup, peut-être aussi par leur propre timidité, leur côté taciturne, secret. Il y avait quelque chose qui ne se racontait pas facilement et mon but n'était surtout pas de les brusquer pour recueillir absolument leur parole. J'étais seul aussi dans ce lieu, et ces rencontres étaient les seuls moments où j'adressais la parole à quelqu'un dans la journée. En se parlant, on se réchauffait mutuellement.
Ce qui m'a frappé chez Emmaüs c'était que j'y retrouvais des objets de mon enfance, des choses d'un monde qui avait complètement disparu. Et les compagnons me rappelaient des personnes de ma famille qui m'avaient marqué enfant, en particulier parce qu'ils n'avaient pas le sentiment qu'ils devaient transmettre quoi que ce soit. On était juste en présence les uns des autres. Et j'ai retrouvé ce sentiment à côté des compagnons. Dans chaque film, j'essaie de trouver un moteur intime qui me donne une sorte d'assurance pour aller dans une émotion juste et me permette de trouver ce que je crois être la bonne place. Mes interventions sont un peu maladroites mais c'est important je pense. Je les ai gardées telles quelles au montage parce que ça me dérange de me transformer en personne transparente, comme un regard venu de nulle part, ou bien en professionnel. Je déteste ça. Les documentaires sont envahis d'experts ; la télévision ne veut que des experts, c'est catastrophique.

Vous n'avez filmé aucune scène de groupe ?
Si, mais dans ces moments il y avait quelque chose de plus démonstratif : je redevenais observateur et eux redevenaient le monde de la pauvreté filmée par un cinéaste et ça ne m'intéressait pas. De la même manière, à la fin du tournage, quand j'avais réussi à entrer en contact avec chacun, je faisais de belles images mais je n'avais plus d'attirance et de crainte, ça se sentait et ce n'était plus intéressant, pour ce film. Une tension manquait.

Le film commence en hiver et va vers les beaux jours.
Ce sont des gens qui viennent de la rue et font un métier très physique. Au début on les voit dehors dans le froid. C'est la position du naufragé, il n'a pas de maison, seul son corps l'abrite. Je voulais les montrer d'abord dans quelque chose de très rugueux, très corporel, dans la résistance. Et c'est à partir de cette présence physique que se construit leur histoire. Mais ces séquences d'hiver je les ai tournées après, je sentais que c'était utile pour le film.

Pouvez-vous nous raconter l'écriture de la voix-off ?
L'Odyssée est un texte qui me passionne, cette langue archaïque et très poétique, avec des images très fortes. Pendant le tournage j'avais l'impression d'être sur une sorte d'île (d'ailleurs la mer n'est pas loin) où ces hommes ont repris pied après un naufrage et sont dans un moment d'attente. Et puis ce sont des gens qui parlent beaucoup de voyages, d'errance. J'avais envie de leur redonner une sorte d'héroïsme, de les associer à une mythologie.

Quand la voix-off revient au milieu du film, vous citez L'Odyssée, puis on glisse vers autre chose. Vous racontez les péripéties de certains compagnons, et en leur prêtant votre voix vous devenez eux en quelque sorte, il y a comme une inversion…
C'est un peu la même chose quand à la fin du film je suis avec cet homme qui fait des photos. C'est comme si on inversait nos gestes. Il me photographie puis on boit un thé ensemble, côte à côte, avant de repartir chacun de notre côté.

Vous arrivez à cette position, côte à côte, après plusieurs face-à-face, en particulier dans ces portraits silencieux et immobiles…
Dans la première séquence j'ai demandé à l'homme de se mettre dans cette belle lumière en lui disant que ça allait faire un beau portrait. J'avais envie de leur dire : je suis là pour faire une image avec vous avec attention, délicatesse, comme dans une sorte d'écrin. La douceur c'est un sentiment important pour moi cinématographiquement. Dans Voir ce que devient l'ombre aussi il y a ce phénomène d'inversion puisqu'à la fin du film je retourne sur un lieu où les personnages avaient vécu et je mets mon regard à la place du leur. Il y a quelque chose d'un peu chamanique.

Propos recueillis par Amanda Robles, JOURNAL DU RÉEL le 28 mars 2014 .

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CINÉMA DU RÉEL

Au sein d'une communauté Emmaüs, les portraits singuliers, inoubliables, d'Ulysse contemporains. Tout commence par des objets. Matthieu Chatellier, qui dialogue de derrière la caméra avec les membres d'une communauté Emmaüs de la région caennaise, reconnaît des assiettes, des meubles qui ont bercé son enfance. Mais il n'a guère le temps de sombrer dans la nostalgie : tous les hommes qu'il filme sont actifs, suractifs même, triant et vérifiant des vêtements selon des critères stricts, étiquetant chaque meuble d'un entrepôt plein à ras bord, sans cesse énergisés par leur capacité à transformer de l'informe en objet, le rebut en or. À l'évidente satisfaction de voir un tel système amender des vies fracturées succède une émotion singulière qui s'exhale de chaque portrait. La modicité des chambres et le goût de l'accumulation de plusieurs de ces naufragés de la vie (métaphore éculée qui revient ici décapée) transforment leurs intérieurs en empires des signes d'une folle densité. Le moindre bibelot y recèle une origine lointaine, un « mauvais souvenir » tu, un secret inviolable. Avec la même concentration que l'un des hommes qui photographie une minuscule petite fleur rose, le cinéaste et sa monteuse restituent le présent de ces vies dépolies par le voyage perpétuel. À la référence biblique du compagnonnage d'Emmaüs, le film substitue via son écoute, ses cadrages et sa lumière, une symbolique ulysséenne.

Charlotte Garson pour "Cinéma du Réel 2014"

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CRITIKAT / Cinéma du Réel, 36e édition

Dans une communauté Emmaüs à proximité de Caen, Matthieu Chatellier a trouvé matière à poursuivre son travail de cinéaste à l’écoute. Un repaire de naufragés de la vie, qui investissent ce havre hors du temps comme des enfants qui créeraient leur propre maison de poupée. Sauf ici, peut-être ne s’attache pas tant au fonctionnement de la vie en communauté, mais plutôt à en faire surgir, par la parole, les tracas du monde au-dehors, celui dont ses hommes, tels des moines, ont préféré se retirer. C’est une sorte de « périphérie » du réel que Matthieu Chatellier dresse alors, à travers les portraits croisés de ces travailleurs, dont les visages marqués et les silences représentent autant de cartes que le cinéaste se propose de sillonner.

Le travail d’approche de Chatellier se veut discret, sans chercher à tout prix la connivence. La gêne qui se dégage parfois de ces portraits tient à la fois de la maladresse naturelle des personnages face à une caméra qui sert d’interface entre eux et le monde, et du spectateur, se retrouvant nez à nez avec toute une clique mise au ban de la société. Des regards perdus, usés, de ceux qu’il est difficile d’affronter, et pourtant empreints d’une joie toute enfantine lorsqu’ils s’éveillent. Le propos n’est pas ici ouvertement politique, mais le film délimite cependant tout un territoire partiellement abandonné, jonché d’objets dont on se débarrasse, et que ces hommes trient patiemment avant de les exposer, pour leur donner une chance d’être renvoyés dans le monde.

Cet interstice entre vie monacale et contacts avec l’extérieur (qui resteront hors-champ) est donc investi de témoignages qui cherchent à briser la glace sans bousculer la fragile marche en avant des personnages. La délicatesse et l’attention développées par Matthieu Chatellier tiennent du numéro de funambule, et agissent à doses homéopathiques, en une alchimie qui est à chaque fois remise en jeu. Il suffit ici de quelques mots, là d’un objet, d’une cigarette de plus, d’un lieu commun ou d’un travailleur en action pour enclencher le dialogue, partir sur les routes du passé et effleurer ce qu’a pu être une vie passée à chercher sa destination, avant d’atterrir ici et enfin poser bagage. Le film met alors en scène les détours simples que peut prendre la parole pour toucher à l’intime, et saisit l’essence de ce qu’un visage, lorsqu’il s’arrête brusquement d’être animé par des mots, transmet de l’existence d’un homme. Et sans faire de bruit, Sauf ici, peut-être devient un espace d’échanges et d’observation, qui remet progressivement ce micro univers au centre d’un monde qui ne semble plus qu’un lointain souvenir. C’est pourtant bien lui qui gravite autour de la communauté.

Julien Marsa pour "Critikat"

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CHRONICART / Cinéma du Réel 2014: fin du cinéma et poignées de porte

La trente-sixième édition du festival du Réel a eu lieu du 20 au 30 mars dernier, à Paris. Au programme : des hommes au travail, un laboratoire politique, la fin du cinéma et des poignées de porte. Parcours, très partiel au regard de la programmation pléthorique, à travers quelques films vus au hasard ou presque.

(…) S'ils partagent un même territoire, Sauf ici, peut-être (Matthieu Chatellier) et Trois cents hommes (Emmanuel Gras et Aline Dalbis) différent par leur méthode. Celle, modeste, de Chatellier, repose sur une proximité avec les membres de la communauté Emmaüs qu'il filme. Le filmeur interroge, se fait interpeller, dirige éventuellement en direct en indiquant l'endroit où il s'apprête à orienter son objectif. Peu de fioritures, mais une bienveillance qui rachète certains accès de naïveté ou de candeur. Davantage qu'à la communauté en tant que telle (pas de scène réellement collective), il s'attache à ses membres, à leurs paroles, leurs visages, traçant une suite de diagonales solitaires. Emmaüs apparaît comme le dernier refuge, là où il sera enfin possible de se poser entouré de quelques objets ordinaires sauvés d'odyssées dont nous ne connaîtrons jamais que quelques bribes. Au final, Chatellier réussit surtout (...) dans le portrait en cinéma, qui exige de laisser le temps nécessaire à un visage pour apparaître et à un regard pour soutenir celui de la caméra, quitte à s'échapper ensuite. (…)

http://www.chronicart.com/cinema/cinema-du-reel-2014-fin-du-cinema-et-poignees-de-porte/

Raphaël Nieuwjaer, Chronicart

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